Sortie prochaine de mon roman « MANIFESTANTS »

Gabriel
08h42
Déjà une demi-heure qu’ils sont en place. Apparemment, le préfet est aux abois, au vu du
dispositif mis en place par le commissaire. Lors du briefing de ce matin, leur chef n’a cessé de
mettre en garde ses effectifs sur les risques de débordements et sur la pression du ministère de
l’Intérieur. Comme Gabriel trépigne de froid malgré tout son attirail, il décide de marcher un
peu, histoire de se dégourdir les jambes.
Quelques passants, des promeneurs pour certains, mais pour la majorité, des travailleurs
pressés de rejoindre leur lieu de travail. À intervalles réguliers, des bus s’arrêtent le temps de
déverser sur la place leur lot de voyageurs, avant de démarrer et de s’éloigner. Malgré l’heure
matinale, quelques manifestants semblent déjà à pied d’œuvre. Ils font des allers et venues
entre la place et une fourgonnette garée un peu plus loin. Des cartons de tracts, des banderoles
encore roulées en parchemin et des baffles sont ainsi déposés au fur et à mesure de leurs
déplacements.
Très sérieux dans tout ce qu’il entreprend, Gabriel s’est engagé dans les forces de l’ordre
comme on s’engage dans une vocation. Pourtant, sur le papier, rien n’aurait pu laisser présager
une telle orientation. Fils unique de deux soixante-huitards, il a grandi dans un environnement
extrêmement permissif. Le cadre, ses parents ne savaient même pas ce que c’était. Pour eux, le
seul cadre qu’il fallait prendre en compte était celui de sa volonté, la seule limite étant le malêtre ou la douleur des autres. Et ils ont élevé leur fils avec ces valeurs. Sans exagération, la
plupart des souvenirs de Gabriel sont par ailleurs nimbés de volutes de cannabis. De cet
univers, le jeune homme n’en garde quasiment rien aujourd’hui. Depuis le jour où ses parents
sont morts de cette naïveté, de cette croyance en l’être humain.
L’agent secoue la tête et revient au moment présent. Des badauds commencent à patienter
par petits groupes sur la place et parmi eux, il le sait, des manifestants pacifiques, des
personnes désœuvrées, mais aussi des trouble-fêtes. C’est cette dernière catégorie qui
l’inquiète.